Parler de parentalité, c’est parfois tomber dans la nostalgie. Rappelez-vous du bon vieux temps où les enfants jouaient dehors du matin au soir parce que leurs parents n’utilisaient pas le iPad comme une gardienne. Vous savez l’époque où les enfants ne mangeaient jamais de produits transformés, mais plutôt des aliments cultivés par leurs parents à la sueur de leur front sur la terre familiale. Ah, ce temps béni où on donnait de l’opium aux bébés pour les faire dormir.
Dans un article passionnant publié dans le Journal of Human Lactation, le Dr Michael Obladen s’intéresse à la petite histoire de l’opium et de son utilisation chez les bébés. Déjà pendant l’Antiquité, les médecins vantaient les mérites de l’opium et de la plante dont il est tiré, le pavot. Après tout, on était persuadé que les problèmes de sommeil étaient une maladie. Il fallait donc un remède. Un texte égyptien datant du 16e siècle avant Jésus-Christ mentionne par exemple qu’un mélange de capsules de pavot et de guêpes administré pendant 4 jours fera cesser les pleurs de bébé immédiatement. Un médecin de Bagdad suggère lui de donner du sirop de pavot au bébé et de lui frotter les tempes et le front avec de l’huile d’opium et de safran.
Selon Dr Obladen, ces pratiques persisteront jusqu’au 19e siècle. Ainsi, en 1781, un certain Alexander Hamilton propose de donner du vin, du brandy ou du sirop de pavot au bébé qui vient d’être sevré. Cela préviendra les pleurs incessants jusqu’à ce que le « sein soit oublié ».
En 1857, à New York, on rapporte que certaines mères droguent leur enfant avec de l’opium après la tétée pour espacer les tétées. Cette méthode est plutôt courante chez les nourrices. Le journal The New York Times cite d’ailleurs à l’époque l’histoire de Mary Cullough, une nourrice qui aurait fait mourir plusieurs enfants de malnutrition, mais aussi d’intoxication à l’opium. Au Québec, on peut se procurer le Mrs Winslow’s Soothing Syrup qui contient 2 à 3 % d’opium ainsi que plusieurs autres sirops du genre. Selon un certain L. F. Dubé, ces produits auraient tué plus de bébés que des centaines d’Hérodes.
Les décès de nourrissons attribuables à l’opium sont en effet nombreux, révèle l’article de Michael Obladen. En 1769, le médecin anglais John Cook rapporte avoir perdu son fils d’un an après lui avoir donné 8 gouttes de laudanum. Il continue toutefois de recommander l’opium pour les enfants qui percent des dents. (Il faut dire qu’à l’époque on suggère d’ouvrir les gencives des bébés avec un couteau propre!) Chaque année, le journal médical The Lancet rapporte des cas d’intoxications mortelles. Entre 1863 et 1867, 236 enfants sont décédés par l’utilisation de narcotiques. Au début du 20e siècle, la commission royale australienne estime que 15 000 bébés par année sont tués en raison de ce type de médicaments. C’est seulement avec les lois pour mettre fin au trafic d’opium qu’on verra disparaître cette pratique mortelle.
Est-ce que les parents de 2016 sont parfaits ? Absolument pas. Quelques-uns continuent d’ailleurs de droguer leurs enfants pour les faire dormir. Nous ne sommes pas toujours les parents exceptionnels que nous rêvons d'être et nous sommes parfois incrédules devant les choix des autres. Cependant, lorsque la nostalgie et le découragement de notre époque deviennent trop forts, se rappeler que nous nous sommes améliorés avec le temps apporte un certain réconfort.
La parentalité d'un point de vue historique:
Noël, Marie et l'allaitement en public
Les bébés et le bon vieux temps!
Source:
Obladen, M. (2016) Lethal Lullabies: A History of Opium Use in Infants. J Hum Lact. 32(1):75-85.