Il y a de ces nouvelles qui défient la raison. On a beau les regarder sous tous les angles possibles, on est forcé d'avouer « Je ne comprends pas comment cela peut être possible ». C'est le cas de cette étude qui nous arrive directement d'Angleterre et qui bouscule tout. Elle proclame que le déclenchement du travail, non seulement n'augmente pas le risque de césarienne, mais le diminue.
Il faut d'abord savoir que la plupart des intervenantes en périnatalité s'entendent pour dire que le déclenchement du travail cause parfois une cascade d'interventions qui mène malheureusement trop souvent à une césarienne. En fait, la Société des obstétriciens et des gynécologues du Canada, dans sa directive clinique no 296 révisée en septembre 2013, inclut la césarienne comme un risque accru par le déclenchement de l'accouchement. Je crois que personne ne considère cet organisme comme un rassemblement de hippys qui souhaitent accoucher au milieu de la nature par un soir de pleine lune!
Alors, comment expliquer les résultats rapportés par les chercheurs britanniques?
Comme le fait très justement remarqué Mariève Paradis de Planète F, les scientifiques ont eu la drôle d'idée de mettre dans le même bateau toutes les méthodes pouvant potentiellement peut-être déclencher le travail : de l'infâme ocytocine synthétique à l'homéopathie en passant par les prostaglandines pour ramollir le col de l'utérus. Il s'agit d'un choix discutable puisque ces techniques ont des mécanismes très différents. On ne s'attend donc pas à ce qu'elles aient toutes le même effet sur les risques de césarienne.
Lorsqu'on regarde un peu plus en détail, le mystère s'épaissit encore. Par exemple, globalement, les méthodes de déclenchement du travail diminuent les risques de césarienne, disent les chercheurs. Cependant, si on analyse chaque technique individuellement, seulement 4 sur 11 ont un véritable effet : les prostaglandines, les méthodes mixtes, le misoprostol et... tenez-vous bien... les méthodes alternatives (Vous savez ces trucs de grands-mères qui ne fonctionnent pas pour déclencher le travail...)
Vous êtes étonnés? Il y a plus. Si on considère que l'induction est une technique pour ramollir le col, le risque de césarienne diminue. Même chose si l'induction sert seulement à stimuler les contractions utérines. Cependant, si on croit que l'induction se fait sur les deux tableaux, alors il n'y a plus d'effet.
Vous en voulez encore? Eh bien, voici. Vous vous rappelez que le déclenchement du travail réduit le risque de césarienne, c'est la conclusion principale des chercheurs après tout. Si on étudie seulement les femmes dont c'est le premier bébé, il n'y a pourtant pas d'effet. Pour être honnête, il n'y a pas d'effet pour les femmes dont ce n'est pas le premier accouchement non plus.
En d'autres termes, dans cette étude, les résultats semblent se modifier selon qu'on étudie les données regroupées ou séparées en groupe distinct. Cette observation rappelle une bizarrerie statistique fascinante : le paradoxe de Simpson. (Je vous conseille d'ailleurs fortement de lire ce billet de blogue qui est très instructif.) Pour être plus précise, disons « qu'une corrélation peut disparaître ou même s’inverser suivant que l’on
considère les données dans leur ensemble, ou bien segmentées par groupes. » L'auteur du blogue Science étonnante explique bien le phénomène. « C’est-à-dire qu’à cause de la distribution hétérogène de l’échantillon,
regrouper les données pointe une tendance qui peut être fausse, et qui
disparaît si on analyse les données en séparant selon le facteur de
confusion. »
Bref, avant de conclure que toutes les femmes devraient être déclenchées pour éviter une césarienne, il serait peut-être bon d'analyser plus en profondeur la rigueur statistique de cette étude. Malheureusement, il ne s'agit pas de l'une de mes forces. S'agit-il vraiment du paradoxe de Simpson? Je n'en sais rien, mais des résultats qui se contredisent eux-mêmes méritent à tout le moins qu'on s'y attarde!
Je terminerai donc sur cette pensée à méditer. Pendant qu'on cherche à savoir si le déclenchement réduit le nombre de césariennes, on évite soigneusement de parler des autres risques qui lui sont associés (gracieuseté de la Société des obstétriciens-gynécologues du Canada!) : accouchement vaginal instrumentalisé, hyperstimulation utérine, détresse fœtale, rupture utérine, prolapsus du cordon. Lorsqu'on y pense, on devrait peut-être réserver le déclenchement du travail aux femmes qui en ont vraiment besoin.
Références :
Willacy H. Labour — active management and induction. Patient.co.uk; 2009.
Mishanina E, Rogozinska E, Thatthi T, Uddin-Khan R, Khan KS, Meads C. Use of labour induction and risk of cesarean delivery: a systematic review and meta-analysis. CMAJ. 2014 Apr 28. [Epub ahead of print]
Société des obstétriciens et gynécologues du Canada. Directive clinique no. 296 : Déclenchement du travail.
Mishanina E, Rogozinska E, Thatthi T, Uddin-Khan R, Khan KS, Meads C. Use of labour induction and risk of cesarean delivery: a systematic review and meta-analysis. CMAJ. 2014 Apr 28. [Epub ahead of print]
Société des obstétriciens et gynécologues du Canada. Directive clinique no. 296 : Déclenchement du travail.