Les mères dépressives peuvent avoir des comportements intrusifs ou désengagés et être moins sensibles aux signaux de leurs enfants. Des études ont d'ailleurs démontré que la dépression chronique maternelle pendant la première année suivant la naissance de l'enfant était associée à des retards dans le développement psychomoteur de ceux-ci à 15 mois. Par ailleurs, la dépression non-traitée chez la mère affecte également le développement émotionnel et cognitif de l'enfant.
Dans certains cas, il est possible de traiter la dépression par des approches non-pharmacologiques comme la psychothérapie. Toutefois, il faut être conscient que cela n'est pas toujours suffisant à long terme. Par ailleurs, plusieurs études ont montré l'efficacité des antidépresseurs comme les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) dans le traitement de la dépression post-partum. Ils sont donc les premières options lorsqu'on veut traiter une mère souffrant de dépression.
Malheureusement, plusieurs mères croient donc qu'elles sont confrontées au choix difficile de soigner leur dépression ou de continuer l'allaitement. Pourtant, de plus en plus d'études démontrent que les femmes ne devraient pas être mises dans une telle situation. En effet, plusieurs antidépresseurs sont compatibles avec l'allaitement.
Les antidépresseurs et le lait maternel
Tous les antidépresseurs sur lesquels il existe des études peuvent être retrouvés dans le lait maternel. Puisque les antidépresseurs ont souvent une affinité pour les gras, la concentration dans le lait maternel est habituellement légèrement supérieure à celle du sang de la mère. Par contre, cela signifie également que la concentration dans le lait est affectée par la quantité de gras de celui-ci. Par conséquent, la quantité de médicament se trouvant dans le lait peut variée avant et après une tétée. La dose ingérée par l'enfant varie cependant beaucoup selon l'antidépresseur, allant de moins de 1 % jusqu'à un peu plus de 10 % de la dose maternelle.
Toutefois, même si un antidépresseur se retrouve dans le lait maternel, cela ne signifie pas qu'il sera absorbé par le système digestif et qu'il atteindra la circulation sanguine. En fait, plusieurs de ces médicaments sont indétectables chez l'enfant. On observe toutefois que les concentrations sanguines sont souvent plus élevées chez les nouveau-nés ou les prématurés étant donné que leur capacité à métaboliser les médicaments est encore très peu développée.
Peu d'effets secondaires chez l'enfant
Cependant, même en faible quantité, les antidépresseurs peuvent-ils avoir des effets négatifs sur les bébés? En fait, la plupart des études n'ont noté aucun effet secondaire avec la majorité des antidépresseurs. Pour certains (comme la fluoxetine et le citalopram), des effets ont été rapportés (irritabilité, selles liquides, difficultés d'alimentation et de sommeil) mais ils étaient subtiles et non-spécifiques. Notons que ces deux médicaments sont ceux qui se retrouvent en plus forte concentration dans le sang des bébés. Par ailleurs, il n'existe pas de données indiquant que l'exposition aux antidépresseurs pendant l'allaitement aurait des effets à long terme sur la croissance ou le développement.
Recommandations cliniques
En résumé, il est important d'évaluer les risques de l'exposition aux antidépresseurs de même que les risques de ne pas traiter la dépression quand vient le temps de choisir un traitement pour une mère allaitante. Pour les dépressions légères à modérées, on devrait d'abord favoriser les approches non-pharmacologiques comme la psychothérapie. Toutefois, pour les dépressions sévères, la meilleure approche est habituellement la médication. Les médicaments à privilégier sont généralement la paroxétine (Paxil) et la sertraline (Zoloft) (quoique la paroxetine ne soit pas idéale à long terme puisqu'elle est contre-indiquée pendant la grossesse). La fluoxetine (Prozac) et le citalopram (Celexa) devrait être évités si possible. Par contre, si la mère a déjà été traité efficacement dans le passé avec un des ces médicaments, ils pourraient quand même être utilisés avec précaution. Les antidépresseurs pour lesquels il existe peu de données ne devraient pas être utilisés à prime abord (sauf dans certains cas spéciaux).
En conclusion, il semble donc que le traitement de la dépression soit compatible avec l'allaitement et qu'on ne devrait donc pas recommander le sevrage aux mères dépressives.
Lorsqu'un médecin évalue les options de traitement pour une mère allaitante souffrant de dépression, il devrait se poser les questions suivantes:
Quels sont les risques pour la mère et l'enfant si la dépression n'est pas traitée?
Quel est l'importance de l'allaitement pour la mère?
Quels sont les désavantages pour l'enfant de ne pas recevoir le lait de sa mère?
Quels sont les risques pour l'enfant d'être exposé à un antidépresseur via le lait de sa mère?
Existe-t-il des preuves qu'un antidépresseur donné est plus sécuritaire qu'un autre pendant l'allaitement et existe-t-il suffisamment de données pour les antidépresseurs plus récents?
Existe-il des stratégies pratiques pour diminuer la dose à laquelle l'enfant sera exposé?
Si l'allaitement peut continuer mais que de légers risques existent tout de même, l'enfant devrait-il être suivi de plus près?
Référence: Berle JO, Spigset O. Antidepressant Use During Breastfeeding. Curr Womens Health Rev. 2011 Feb;7(1):28-34.